1947

La bulle spéculative de la mine Beaulieu éclate

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la ruée vers l’or continue à Yellowknife. Un énorme gisement aurifère découvert sous les claims de la mine Giant mène à la construction d’une grande mine. Le jalonnement autour de Yellowknife et les spéculations hâtives accentuent la fièvre de l’or. C’est dans ce contexte que commence l’histoire de la mine Beaulieu.

Au début des années 1940, des travaux d’exploration révèlent un vaste gisement d’or souterrain à l’est de la rivière Beaulieu. Un groupe commercial de Toronto achète les claims et constitue la compagnie Beaulieu Yellowknife Mines Limited en 1945. Un article paru en avril 1946 dans le magazine spécialisé The Northern Miner affirme qu’une mine située sur la propriété de Beaulieu serait très rentable pour les investisseurs.

La société lance alors une campagne agressive de vente d’actions par l’intermédiaire d’une « chaufferie » — une pièce remplie de téléphones et de vendeurs habiles qui appellent les investisseurs potentiels et leur proposent d’acheter des actions. Quatre millions d’actions sont achetées par des investisseurs de partout au Canada et des États-Unis, et ce, à des prix allant jusqu’à 2,50 $ l’action. Cependant, en juin 1946, la valeur de l’action dégringole à 73 centimes, et les actionnaires exigent des réponses.

Le bruit court à Yellowknife qu’il ne faut pas acheter d’actions de la mine Beaulieu, alors en construction près du lac Hansen. En effet, des rumeurs circulent selon lesquelles les travaux d’exploration du site ont été mal faits et qu’il n’y a pas, ou peu, d’or. Beaulieu Yellowknife Mines Limited ravive cependant l’intérêt pour ses actions en offrant d’acheter des claims voisins appartenant au prospecteur de Yellowknife Spud Arsenault, dans le cadre d’un astucieux stratagème marketing. Beaulieu Yellowknife Mines Limited verse 100 000 $ en espèces à M. Arsenault pour la propriété et lui remet l’argent lors d’un événement médiatique digne d’Hollywood, au cours duquel des gardes armés escortent M. Arsenault à la banque pour y déposer sa nouvelle fortune.

Tout au long de l’hiver 1946-47, les rapports mensuels de l’entreprise encouragent les gens à conserver leurs actions. Pourtant, la correspondance confidentielle entre le directeur de la mine et les responsables de la société à Toronto raconte une autre histoire. La mine, toujours en construction, est gravement sous-financée et en retard sur le calendrier; la société ne peut se permettre d’acheter l’équipement essentiel, et les fournitures nécessaires à la construction de la mine ne sont ni payées ni expédiées.

La société, qui continue à faire fructifier ses actions, prévoit une grande cérémonie le 7 décembre 1947, pour la fonte du premier lingot d’or de la mine Beaulieu Yellowknife. Walter Winchell, le célèbre chroniqueur mondain américain, est invité en tant que maître de cérémonie. Gene Tunney, champion de boxe poids lourd, doit y disputer des combats d’exhibition avec quelques garçons de la région. Bon nombre de politiciens, de journalistes, de responsables de l’exploitation minière et de personnes riches et célèbres comptent y assister.

À la mi-novembre, après que l’usine a fonctionné pendant plus d’un mois, on se rend compte que la mine ne produira jamais assez d’or pour fabriquer ne serait-ce qu’un seul lingot. Au total, Beaulieu Yellowknife Mines Limited a vendu pour plus de 8 000 000 $ d’actions, a dépensé moins de 800 000 $ pour construire la mine et, au cours de son premier mois d’exploitation, n’a extrait que 49 onces d’or, pour une valeur globale d’environ 1 700 $.

Le 4 décembre 1947, la société annule la cérémonie d’ouverture, prétextant que les avions ne peuvent pas atterrir sur le lac Hansen, car la glace est trop fine. La mine ferme discrètement et les responsables quittent le Nord. Une enquête est menée, mais aucune accusation criminelle n’est portée, laissant aux actionnaires des actions sans aucune valeur. La mine Beaulieu demeure un récit édifiant sur la cupidité et la spéculation dans le domaine de l’extraction minière.