1966
Mémoires d’un Esquimau : Moi, Nuligak – L’autobiographie d’un Inuvialuit
À sa parution en 1966, Mémoires d’un Esquimau : Moi, Nuligak fut reconnu comme la toute première autobiographie inuvialuite. Ce recueil offre un aperçu d’une époque et d’un lieu dont peu de Canadiens, hormis ceux vivant sur la côte arctique, connaissaient l’existence.
Nuligak – ou Bob Cockney, selon le nom de baptême qui lui fut donné plus tard par les missionnaires – naît en 1895, à Kittigazuit, une collectivité inuvialuite traditionnelle située près de l’embouchure orientale du fleuve Mackenzie. Son enfance est marquée par de profonds bouleversements : les baleiniers américains, qui avaient pénétré dans la mer de Beaufort quelques années auparavant et établi des postes d’exploitation sur l’île Herschel, deviennent partie intégrante du paysage, dans le delta du Mackenzie et le long de la côte arctique alentours. Les Américains apportent à la fois prospérité et souffrance au peuple de Nuligak. En effet, si certains Inuvialuits parviennent à s’enrichir en travaillant sur les baleiniers et en échangeant fourrures et viandes contre des produits manufacturés venant des États-Unis, ils se retrouvent, en contrepartie, exposés à l’alcool et à diverses maladies, en plus de rompre avec les coutumes familiales et traditionnelles de chasse.
Voici ce que Nuligak écrit : « Étant devenu orphelin tôt, j’ai passé les premières années de ma vie dans la pauvreté et l’adversité. » Il ne doit sa survie qu’à la générosité des autres et, lorsque plus grand, il devient un chasseur aguerri, il n’hésite pas à partager une pièce de viande avec ceux dans le besoin. Adolescent, il commence à travailler sur des baleiniers américains et apprend à lire et à écrire avant 1910.
Lorsque la chasse à la baleine menée par les Occidentaux entame son déclin, en raison de l’extermination des grands cétacés dans la région, Nuligak commence à acheter des pièges à ressort et se met rapidement à vivre de la chasse au renard blanc. Ces peaux valent alors une fortune et les années 1920 deviennent synonymes de formidable abondance pour de nombreux trappeurs inuvialuits. Ces derniers participent activement à la traite de fourrures, ce qui permet même à certains d’acquérir des goélettes. En 1925, Nugilak est en mesure d’acheter son propre bateau : il commande une goélette auprès de la Northern Trading Company, qu’il reçoit en 1926 et baptise Bonnie Belle. Nuligak décrit ce navire flambant neuf de 40 pieds comme une « puissante machine de guerre, dotée d’un solide moteur ‘Frisco’ de dix chevaux-vapeur ».
Nuligak, le jeune orphelin qui vivait dans le dénuement, est devenu un propriétaire de bateau fortuné et instruit. Hélas, la traite de peaux de renards blancs ne tarde pas à s’étioler, suivant ainsi le même sort que la chasse à la baleine. En 1932, les revenus de Nuligak issus de la chasse au renard blanc tombent à 70 $. Il survit alors grâce au transport de marchandises le long de la côte arctique, au moyen de sa goélette Bonnie Belle, avant de redevenir, en 1940, trappeur dans le delta du Mackenzie, chassant cette fois-ci le rat musqué, dont la peau avait gagné en valeur.
Voyant sa santé décliner dans les années 1950, Nuligak commence à coucher sur le papier l’histoire de sa vie, en inuvialuktun, sa langue maternelle. Il y consigne ses premiers souvenirs des baleiniers dans la mer de Beaufort, de la chasse au renard blanc et au rat musqué, de sa famille et de ses amis, ainsi que des périodes qu’il a traversées, fastes ou difficiles. Son autobiographie Mémoires d’un Esquimau : Moi, Nuligak est traduite en anglais par le Père Maurice Métayer et publiée en 1966, soit l’année du décès de Nuligak dans un hôpital d’Edmonton.